Une grande partie de cette biodiversité demeure pourtant méconnue. On estime par exemple que les 7 000 espèces de vers de terre identifiées ne correspondent qu’à 23 % de celles qui existent effectivement.
De nombreux invertébrés vivant dans les sols et à leur surface sont en effet de petite taille. En soulevant cailloux, bouts de bois mort ou feuilles, on découvre un monde merveilleux, composé d’araignées, de vers de terre, de cloportes, de mille-pattes, de carabes…
Cette faune du sol, dite « pédofaune », participe à la décomposition de la matière organique – en l’ingérant en tant que source de nourriture et en la transformant en nutriments directement utilisables par les plantes pour croître –, à la structuration du sol (régulation des flux d’eau et de gaz) et à la régulation des populations (biocontrôle, prédation, activation des micro-organismes comme les bactéries activées par passage dans l’intestin d’un ver de terre).
L’artificialisation des milieux, liée à l’urbanisation des sols, induit des défis environnementaux auxquels les aires urbaines tentent de répondre. Les villes accordent, par exemple, une importance croissante à la création d’espaces verts : parcs publics, jardins privatifs et partagés, arbres d’alignement ou toitures végétalisées. Des espaces de vie qui constituent, pour bon nombre d’organismes, des habitats idéaux.
Compte tenu de la variété d’usages des terrains en milieu urbain, les sols subissent des modifications plus ou moins profondes : imperméabilisation, tassement après le passage de machines, pollution… Les conséquences de ces multiples pressions sur la survie des organismes qui y vivent demeurent peu connues.
Contre toute attente, nous sommes en ville dans une constante interaction avec la biodiversité. Parfois, cette rencontre se réduit à l’élimination par le citoyen du petit invertébré, jugé à tort gênant, voire répugnant.À l’inverse, certains citoyens prennent conscience de l’importance de ces organismes. Jardiniers, maraîchers urbains, ou personnes engagées pour la défense de l’environnement, ils développent des méthodes participant à protéger la pédofaune, tout en tirant profit des services qu’elle peut leur rendre – comme la régulation du cycle des nutriments et de la fertilité du sol par apport d’engrais naturels aux plantes, la régulation de ravageurs par prédation, l’aération du sol…
Du fait de cette diversité, la ville est un lieu passionnant à étudier, qui questionne les écologues : combien d’invertébrés ont-ils su s’adapter à la vie urbaine ? Quels impacts a l’activité humaine sur cette biodiversité urbaine ?
C’est dans ce contexte que l’outil numérique et participatif Jardibiodiv a été créé à l’été 2017 grâce aux recherches conduites sur l’écologie et la biologie des invertébrés des sols au sein du Laboratoire sols et environnement.
Les sciences participatives, qui établissent des collaborations durables entre la communauté scientifique et la société civile, offrent une approche particulièrement pertinente en milieu urbain.
Outil ludique, Jardibiodiv permet à tout citadin de découvrir les organismes présents dans les sols urbains et leurs rôles. En introduisant un verre en plastique – « pot piège » – dans le sol de son jardin et en y ajoutant du vinaigre blanc, on peut capturer au bout de sept jours les organismes présents dans le sol (actifs principalement au printemps et en automne).
L’utilisateur de Jardibiodiv compte et associe un nom à chaque organisme récolté, grâce à une aide en ligne simple, sous forme d’images et de clés de détermination. Il les partage ensuite via le site Internet, ce qui aide les chercheurs dans leurs travaux.
La construction d’une base de données
Les connaissances produites dans le cadre de ces recherches citoyennes permettent notamment de créer des bases de données, encore trop rares aujourd’hui : il s’agit par exemple d’établir des seuils d’abondances (pour répondre à la question « Ai-je beaucoup ou peu d’invertébrés dans mon sol, par rapport à la moyenne, pour lui permettre un fonctionnement durable ? »), des données sur la diversité ou encore des atlas de biodiversité communale.
La constitution de tels référentiels pourra permettre, par exemple, d’intégrer la trame « brune » (réseau formé de continuités écologiques entre les sols) dans les stratégies du développement urbain, en prenant en compte des corridors pédologiques – ces liaisons entre des habitats importants pour les organismes du sol.
Depuis son lancement, une centaine de pots pièges ont été installés, donnant lieu au recensement de plus de 6 000 individus répartis dans 28 groupes d’invertébrés par les habitants grâce à Jardibiodiv. Les participants, de tous horizons, sont des jardiniers amateurs, des citoyens engagés, des élèves, des parents cherchant des activités nature à partager avec leurs enfants, des maraîchers bio, ou encore des étudiants en agronomie.
Cloportes et fourmis
Les premiers résultats mettent en avant la dominance des cloportes et des fourmis dans les jardins urbains ; un gradient d’urbanisation semble se confirmer : la biodiversité serait plus importante dans les milieux plus verts en périphérie des villes que dans les centres urbains, plus minéraux.
Plus les citoyens participeront, plus les résultats de ces études seront rigoureux. Ils permettront ainsi à terme de définir des pratiques offrant une meilleure gestion et protection de la biodiversité des sols.
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